mardi 19 juin 2012

Foto Povera vu par Emmanuel Madec, directeur de la galerie Le Lieu, Lorient




© Photo Yannick Vigouroux, sur cette photo : sténopé de Judith Baudinet



Cet été, Le Lieu invite le photographe et critique d'art, Yannick Vigouroux pour une carte blanche.
Le projet consiste en la présentation de ses propres images et en l'invitation d'autres artistes photographes, ayant ce que l'on peut appeler une pratique pauvre de la photographie. Ce travail de collaboration entre Vigouroux et Le Lieu s'est élaboré en deux temps : choix des auteurs / choix des images, afin de produire une exposition collective originale.

Foto Povera, qu'est-ce que c'est ?

Depuis plusieurs années Vigouroux défend notamment les « pratiques archaïsantes» de la photographie contemporaine, par sa démarche artistique comme par ses écrits, ainsi qu’avec le collectif Foto Povera, dont la sixième exposition a eu lieu en 2010.

Foto Povera est une assemblée plutôt informelle qui se réunit avant tout autour d'un blog qui constitue une plateforme d'expression et un espace d'échange entre artistes.
Le co-fondateur du collectif écrit : «  avoir «  une pratique archaïsante », c'est avant tout une attitude, une tournure d'esprit. Depuis les années 1970, voire les années 1960, ont en effet émergé des pratiques qui contestent les contraintes de la doxa photographique vont à rebours d'une utopie techniciste de perfection, de la netteté de l'image, qui habite l'histoire de la photographie depuis ses débuts. Ils refusent la norme dominante de la photographie piquée, bien cadrée. »

Le terme Foto Povera renvoit à l'Arte Povera « attitude » (plutôt qu'un mouvement, terme que les artistes d'Arte Povera rejettent) prônée par des artistes italiens depuis 1967. Les artistes d'Arte Povera ( Giovanni Anselmo, Luciano Fabro, Gilberto Zorio …) adoptent un comportement qui consiste à défier l'industrie culturelle et plus largement la société de consommation.

Chez Foto Povera, l'usage d'un appareil bon marché constitue un acte politique, au même titre que les actes de consommation courante pour les citoyens. Ce n'est pas seulement la question de l'économie qui se pose, c'est aussi un état d'esprit adopté et revendiqué. La pauvreté apparente des photographies et surtout des moyens mis en œuvre, est ici un contrepoint aux images « parfaitement parfaites » qui inondent les salons photo. Les auteurs de Foto Povera refusent ces normes iconiques, interrogeant du même coup les pratiques de la photographies (des usages amateurs aux usages professionnels) et posant la question du caractère d'un auteur.

Bien qu'en apparence très accessibles, ces ensembles photographiques n'en constituent pas moins, autant de discours artistiques, portés par des intentions singulières. Les boîtiers sont ici le sténopé, la box, le Holga, le smartphone, ainsi que des fabrications maison ou encore un boîtier plus conventionnel dans lequel sont insérés des objets au moment de la prise de vue. Pour la plupart d'entre eux, ces appareils présentent un certain nombre d'imperfections, comme le manque de définition, les déformations optiques, les entrées de lumières, le bruit numérique ...
Les photographes exposés retournent ces « défauts » au profit d'un regard poétique sur le monde qui les entoure, se dégageant ainsi de la performance technique. En somme, avec de faibles moyens, ils donnent à voir une forme de banalité, les non événements présents en périphérie de nos vies.

« Ce sont les enjeux majeurs de telles pratiques : montrer que le monde peut-être perçu et surtout construit autrement, recréé subjectivement, qu'il est possible sinon urgent et nécessaire d'échapper aux rectangles normatifs des télévisions, des écrans d'ordinateur, et des téléphones mobiles. Que l'on peut échapper au diktat des marques, au « prêt à penser » et « prêt à regarder » de la société de consommation. »

Avec ces divers rendus esthétiques, cette exposition démontre qu'une démarche artistique peut être à la portée de chacun, se réaliser avec une économie de moyens et pourtant détenir une profondeur et un engagement qui dépasse le seul acte photographique.

Emmanuel Madec
Pour la Galerie Le Lieu, juin 2012


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