Qu'est-ce qu'une pratique «
archaïsante » en photographie à l'ère d'une « virtualisation toujours plus
grande du réel (Christian Gattinoni), ? Qu'est-ce que la «
FOTO POVERA » ou encore une pratique « A
MINIMA * », pour reprendre le titre de l'exposition présentée
à la Médiathèque Marguerite Duras ?...
C'est une manière
alternative de voir, d'élaborer sa vision du monde à l'aide de
boîtiers que l'on a soi-même réalisés, ou détournés de leur
usage habituel.
Il s'agit avant tout
avant d'une attitude, d'une tournure d'esprit. Depuis les années
1970, voire les années 1960, ont en effet émergé des pratiques qui
contestent les contraintes de la doxa photographique, vont à
rebours d'une utopie techniciste de perfection, de la netteté de
l'image, qui habite l'histoire de la photographie depuis ses débuts.
Celles-ci refusent la norme dominante de la photographie piquée,
bien cadrée.
Une tendance qui s'est
confirmée depuis le milieu des années 2000. De nouvelles pratiques,
hybrides ou non, ont en effet émergé : photos prises avec
appareils-jouets en plastique, photos au téléphone mobile et
sténopés revendiquant une économie et pauvreté parfois
paradoxales, ou dégradation du signal électronique. En même temps,
des pratiques argentiques alternatives interrogeant le médium dans
ses marges, malmenant ou transgressant nombre de codes iconiques, ont
connu un fort regain d'intérêt.
Employer des appareils
amateurs en plastique, les transformer si l'on a envie, fabriquer un
sténopé avec une boîte en métal à thé ou à café, une canette
de soda ou de bière, c'est élaborer sa propre machine de vision.
Casser l'optique d'un compact numérique pour la remplacer par un
capuchon en plastique percé d'un trou comme je l'ai fait récemment,
c'est faire violence, symboliquement et littéralement, à la
doxa de la perfection technique.
Ce sont les enjeux
majeurs de telle pratiques : montrer que le monde peut-être perçu
et surtout construit autrement, recréé subjectivement, qu'il est
possible sinon urgent et nécessaire d'échapper aux rectangles
normatifs des télévisions, des écrans d'ordinateur et des
téléphones mobiles. Que l'on peut échapper au diktat des marques,
au prêt à penser et prêt à regarder de la société de
consommation, y compris, désormais, avec ces téléphones mobiles
justement, et quel que soit leur degré de sophistication…
L'outil est important
bien sûr dans toute pratique mais ne reste qu'un outil. L'on ne doit
pas y être inféodé, jamais, mais au contraire le modifier, le
détourner en fonction de nos besoins, en prenant le contre-pied des
modes et des usages s'il le faut.
Les travaux sélectionnés
pour « A MINIMA » à la médiathèque Marguerite Duras,
qu'il s'agisse de ceux des photographes invités ou des lauréats du
concours, relèvent avant tour du « percept », bien plus
que du « concept », pour reprendre l'expression de
Deleuze : ce sont des œuvres discrètes et sensibles, souvent
expérimentales, que je vous convie à découvrir et à vous
approprier...
* Le titre est de
Laetitia Couenne, bibliothécaire à la médiathèque Marguerite
Duras, que je remercie, ainsi que le reste de l'équipe.
(Yannick Vigouroux)